lundi 11 mai 2009

Nostalgies, prophéties et tapis roulants.

Avant d'ouvrir un journal, il convient de faire un état des lieux. Il sera fortement question de musique ici, autant donc s'interroger à ce propos.

Je suis un vieux crouton, un fossile, un survivant du dernier millénaire. J'ai connu trois guerres nucléaires, survécu à une invasion extraterrestre, assisté à des dizaines de coups d'état. A vrai dire, j'ai surtout connu le disque. Oui, le disque.

Comme beaucoup d'obsédés de musique, j'ai une tendance légèrement obsessionnelle à chercher le grand disque, la chanson parfaite, l'oeuvre qui va changer ma vie. Tristement, j'ai probablement déjà connu tout ça avec le premier album du Velvet Underground, découvert alors que j'étais adolescent. Mais une quête ne se termine pas aussi vite. Des grands disques, j'en ai découvert, très tôt, très tard, et j'en trouverai sans doute encore.

Alors que je relisais des vieux magazines musicaux, en parcourant les chroniques de disques, je me demandai quels étaient les derniers disques importants. De vrais disques, quoi, qu'on chérit, qu'on écoute seul le soir dans sa chambre, qu'on prend pour rouler en voiture et chanter à tue-tête, qu'ensuite on délaisse en croyant les connaître par coeur avant de les redécouvrir tous les six mois avec bonheur, des Odessey And Oracle des Zombies, des The Idiot d'Iggy Pop, des Hunky Dory de Bowie, des Highway 61 Revisited de Zimmermann, des... Il y en aurait vraiment des tonnes.

Avec effarement, je suis remonté jusqu'à 2001, avec Is This It ? des Strokes. Est-ce un disque majeur, important, influent, je n'en sais fichtre rien, mais c'est un disque de chevet. Allez, je monte jusqu'au premier Libertines. Mais après ?

Serais-je passé à côté d'un truc fondamental, avec une maladresse et un aveuglement à hurler ? J'ai bien fait tout comme on m'a dit, j'ai écouté des machins improbables, des Arcade Fire, des MGMT, jusqu'à des Joanna Newsom, des Amy Winehouse, des noms et des noms à la suite. Pour finir par remettre "Season Of The Witch" de Donovan, parce qu'en 68 ce garçon avait fait quand même quelque chose de passionnant encore aujourd'hui. Suis-je donc atteint par le syndrome confinant au cliché dit "du vieux con" ? Aurais-je basculé du côté de la vieillesse infamante, du délire cacochyme, de la frustration réactionnaire ?

A vrai dire, je ne crois pas. Je n'ai pas vraiment changé, je crois. Je suis toujours le même qui découvrait le Wu-Tang après des mois à écouter Johnny Cash et décrétait : "c'est absolument génial". Ces dernières années, j'ai été capable d'assimiler grosso modo le garage-rock, la country outlaw, le folk ancestral, le blues du Delta, des choses que je n'avais finalement que survolées. Je n'ai donc pas l'esprit totalement fermé, c'est une certitude.

D'où vient le souci alors ? C'est que, cher ami, l'idée même d'album est totalement dépassée. On peut chercher longtemps, fouiller, écouter tout ce qui sort, aujourd'hui tout le monde s'en fout, de l'album, du LP comme on disait avant. On le sait, les 45 tours étaient longtemps les vrais vecteurs de la popularité des artistes, vendant bien mieux que ces longs disques qu'il fallait prendre le temps de déchiffrer, quand les artistes en question ne se contentaient pas de faire un album en plaçant le single en premier et en brodant autour de suite d'accords aléatoires sur toutes les autres chansons. Mais à ce point...

Prenons les chanteurs et groupe les plus populaires du moment, tout en restant respectables. Gnarls Barkley ? "Crazy". Amy Winehouse ? "Rehab". Les White Stripes ? "Seven Nation Army". Même Johnny Cash s'est vu rapidement résumé à "Hurt", voire à "Walk The Line" pour ceux qui ont vu le film. On voit apparaître des groupes par paquets de douze, des trucs indies probablement passionnants, mais que connait-on d'eux ? Le Spinto Band se résume à "Mandy" (le reste est insipide), Peter Bjorn And John à "Young Folks", MGMT à "Try To Pretend" (le reste est fatiguant), etc. Oh tiens, comme c'est bizarre, ces chansons ont tout une catchline, un riff obsédant, une (pas plus, hein) idée sonore gimmick, mais leurs albums... Je ne cite que les exemples qui me passent par la tête.

La suprématie du single est totale. Celle du clip aussi, images qu'on peut visionner à toute heure via Youtube ou Dailymotion. Le groupe OK Go ne doit sa renommée qu'au clip dit "des tapis roulants". Et puis le téléchargement, qui a le quasi-monopole de la distribution de musique actuellement, qu'en dire ? Le type qui a entendu parler de Donovan va-t-il aller au-delà de "Mellow Yellow" et "Sunshine Superman" ? Non, il n'a rien acheté, il ne va rien se forcer à écouter. Il pourra écouter "Hurdy Gurdy Man" grâce aux films Edison ou surtout Zodiac, mais ira-t-il écouter "Guinevere" ou "Happiness Runs" ? Saura-t-il que "Jennifer Juniper" s'adresse à la soeur de Patty Boyd, épouse successivement de George Harrison puis d'Eric Clapton ? Non, tout le monde s'en fout, de Donovan, et c'est bien triste.

C'est pourquoi ce blog, s'il parlera aussi parfois de simples chansons (et de bien d'autres choses que de musique), s'attachera essentiellement à traiter d'albums, de disques, de LP's et de toutes ces sortes de choses qu'un téléchargement rapide et mesquin ne saura jamais révéler.

Then when the Hurdy Gurdy Man came singing songs of love...