lundi 13 juillet 2009

Grindhouse

Voir les deux Grindhouse à la suite s'avère extrêmement curieux. Si l'idée de départ - rendre hommage aux séries B visionnées en drive-in dans les années 70 - reste plutôt sympathique, il y a une telle différence dans le traitement entre les deux films que l'on ne peut être que perplexe après visionnage.

Le film de Roberto Rodriguez, Planet Terror, reste très respectueux des contraintes de départs : parasites sur la pellicule, image qui saute, et même une bobine manquante. Las, il s'agit d'une vraie purge. Incapable de s'intéresser à son sujet (les zombies sont inexistants) ni à ses personnages (d'une rare vacuité), Rodriguez ne rattrape pas une seule seconde son matériau de départ (qu'on pourrait croire volontairement creux, laissons le bénéfice du doute) avec sa caméra : plate, inanimée, voire carrément laide, l'image du film fait très peur. Rodriguez ayant déjà été capable de moments de vrai amusement (dans Une Nuit en Enfer ou The Faculty), on attend en permanence LA séquence qui va nous réveiller, en vain. Planet Terror est mou, vide, jamais jouissif, écrit avec les pieds, à oublier.

Tarantino, lui, commence le film en respectant les règles du jeu, mais le finit en s'en moquant royalement. On sait que Tarantino est naturellement plus doué que Rodriguez, malgré toutes les réserves que l'on peut avoir à son encontre. Avec son Death Proof, il gagne facilement la confrontation avec son camarade. Est-ce un chef d'oeuvre pour autant ? Non. Dans une structure assez amusante, en deux parties quasiment égales, il expose donc les traques d'un tueur en série armé d'une voiture noire menaçante (comme dans The Car d'Elliott Silverstein, 1977, une des multiples références cinéphiles du film). Le tueur est campé par le badass ultime, Snake Plissken en personne, messire Kurt Russell, complètement à contre-emploi et visiblement ravi de l'être.

Pourquoi le film est-il à moitié raté alors ? Tout simplement parce que Tarantino s'englue dans ce qui est censé être sa marque de fabrique, à savoir des dialogues badins supposés vifs, brillants, décalés. Et ici c'est complètement raté : deux fois dans le film, on assiste aux échanges verbaux de bandes de filles délurées sans qu'on en ait rien à faire. Comment dire ? C'est juste ennuyeux. Par ailleurs, pour ceux qui auraient aimé les déluges de citations que furent les deux Kill Bill, ils seront ravis ici : ça n'arrête pas, souvent explicitement (Point Limite Zéro...). Pour ceux qui s'en moquent, c'est assez lourdingue.

Reste une incroyable séquence finale de poursuite en voiture, filmée "à l'ancienne", de façon complètement justifiée au vu du résultat : haletante, viscérale, sèche, c'est une réussite totale. Ce qui prouve (on s'en doutait déjà) que Tarantino, s'il se regardait un peu moins le nombril et la vidéothèque, serait un cinéaste génial et incontestable. En l'état des choses, il reste un petit malin surdoué qui déjà atteint ses propres limites thématiques.

dimanche 5 juillet 2009

Whatever Works de Woody Allen


Encore un Woody Allen, donc... Ca doit être le deux-centième. Au moins. Il faut avouer qu'il y a quelques années, on le croyait un peu fini. Enfin, on a toujours tendance à le croire fini. Puis il y a toujours ces films qui nous font changer d'avis encore et encore : ce fut Accords et Désaccords, ce fut bien évidemment le foudroyant Match Point, et alors qu'on le croyait condamné à filmer Scarlett Johansson jusqu'à la fin de sa vie, voilà qu'il sort ce Whatever Works.

Avec un casting plus qu'hétéroclite : Larry David, créateur de Seinfeld dans le rôle principal, Evan Rachel Wood (l'ex de Marylin Manson... Imaginons deux minutes une rencontre Woody Allen - Marylin Manson) merveilleuse dans celui d'une cruche inconcevable, la très classiquement hollywoodienne Patricia Clarkson qui offre une performance très amusante, Michael McKean (David St Hubbins dans Spinal Tap) dans un petit rôle...
L'histoire ? Allen a toujours parlé plus ou moins de lui, il continue donc. On suit les élucubrations de Boris, physicien sexagénaire "presque nominé pour le Nobel", misanthrope fini, hyponcondriaque total, paranoïaque et professoral, confronté à une ingénue de vingt ans à peine débarquée du Mississipi, naïve au plus haut point et vite fascinée par l'arrogance du vieil aigri. S'ensuivent alors des confrontations abracadabrantes entre notre antihéros et la famille de la jeune fille, horde de Républicains bigots et frustrés, plongés dans le microcosme intellectuel new-yorkais.
Il s'agit donc d'une comédie intégrale, particulièrement libidineuse (enfin, pour Woody Allen, quoi...), loufoque, burlesque, assez vache aussi et particulièrement mauvais esprit. Les répliques du reclus fusent, trouvant un contrepoint idéal en la présence de la jeune nymphette. Et ça fonctionne extrêmement bien, grâce à une maîtrise des effets comiques tout à fait réjouissante. Une mise en abyme (qu'il convient de ne pas dévoiler) tout à fait ludique se charge de comprendre qu'Allen s'adresse directement à son public, qu'il ne cherche plus du tout à convaincre un public qui se fout de lui (les Républicains, quoi), s'adressant même directement à ses chers spectateurs français au travers d'un gag.
Allen est arrivé à un tel point de savoir-faire qu'on ne peut absolument pas lui tenir rigueur de sa très légère autocomplaisance (hahaha), lui qui avait su renouveler entièrement son cinéma avec son Match Point entre Hitchcock et Agatha Christie. Un Woody Allen routinier que ce Whatever Works, donc, mais un Woody en très grande forme.

mercredi 1 juillet 2009

Viol - Love Boat

Il est déjà assez difficile de juger le travail d'un ami, alors quand on est soi-même un collaborateur dudit ami... Néanmoins l'auteur de ces lignes n'a strictement joué aucun rôle ici, et son impartialité ne saurait être mise en doute (et celui qui n'est pas content n'a qu'à retourner écouter Lady Gaga, que je refuse de connaître malgré toutes ses sollicitations répétées).

Viol, donc, aka Ernesto Violin, aka le Chat Chinois (aka la moitié du groupe le plus maudit de tous les temps, dont l'absence de notoriété n'a d'égale que la fulgurance du talent, autant ne pas se faire suer). Qui est ce type ? Un petit gars maigrichon, ayant pour modèle vestimentaire la tournée 1976 de Neil Young & Crazy Horse et pour idéal capillaire le concert pour le Bengladesh de George Harrison.

Comment expliquer les passions sonores du jeune homme ? Il est du genre obsessionnel, et s'est forgé petit à petit une identité musicale assez peu commune, dans laquelle on retrouve pêle-mêle le troisième album de Big Star, les guitares twang, Rubber Soul des Beatles, les arrangements mélodramatiques du doo-wop, le piano crépusculaire des derniers albums de Johnny Cash, la voix traînante de Shane Mc Gowan... J'en oublie sans doute.

Un drôle de bougre, donc, affublé d'un pseudonyme pour le moins gênant (Massacra, Suicide, Testament et Cannibal Corpse étaient déjà pris), qui enregistre tout absolument seul, sur un matériel que l'adjectif "lo-fi" ne suffirait pas à décrire. Et pourtant, même en travaillant sur un ordinateur rudimentaire, le garçon essaie sans cesse de trouver le son. Oui, la quête du son, la même que Brian Wilson, Christophe, Phil Spector, etc.

Et là, paf, un album concept. Grands dieux. Viol aurait donc été démodé en 1974, mais c'est sans doute ici l'intérêt de la chose. Car un disque comme ça aurait pu être enregistré à peu près n'importe quand dans les trente dernières années, pas moins. Hors du temps, hors des modes, peut-on parler d'une vision ? Hmmm.

Le disque, donc, commence par un titre assez étonnant, le dénommé "Treasure Island". Et là on peut se poser la question : qui est assez cinglé pour rendre un hommage à peine caché à Roy Orbison (réécouter "Running Scared") en 2009 ? Avec mandoline, cordes, et tout le toutim. On passe ensuite à un titre qui trahit les influences celtiques du jeune homme, malgré une production tout ce qu'il y a de wall of sound (enfin, en lo-fi, hein) : la guitare rappelle furieusement Fairport Convention ou Pentangle, mais, donc, dans un habillage tout à fait inattendu.

Arrive ensuite une chanson épatante, avec "The Sperm White Whale". On tient ici une sorte de rejeton bâtard de "My Sweet Lord" et des Only Ones, avec un refrain totalement accrocheur. S'il devait y avoir un single (hahaha), ce serait sans aucun doute cette chanson, qui prouve le talent de l'auteur quand il le veut pour écrire des chansons pop parfaitement catchy. A peine sustenté par une folk song classique ("Ignorance Makes You Pretty"), on tombe sur le très gros morceau du disque.

Car "August The 7th", en fait, n'est pas une chanson comme on en entend tous les jours. La mandoline d'intro rappelle étrangement "Holidays" de Polnareff, avant que la chanson n'embraye sur une construction dylanienne en diable (la guitare renvoie furieusement à "Desolation Row"), puis sur un refrain grandiloquent façon Spiritualized aux violons lacrymaux, le tout rythmé par un leitmotiv très obsédant digne de François De Roubaix. Des noms prestigieux, oui, mais le galopin est de ce niveau quand il s'y met. Qui aujourd'hui écrit des machins comme ça ?

Après arrive le très tonique et chantant "Seasons Of The Sun", aux arrangements entre Townes Van Zandt et Chris Isaak, portant une mélodie particulièrement vicieuse, inoffensive au premier abord, pour mieux rester cachée dans un petit coin du cerveau. Encore une grande chanson, quoi.

Autant le dire franchement (et par là-même durement), la deuxième moitié de l'album déçoit un peu (la deuxième face ?). Non pas que les chansons soient mauvaises, bien au contraire, mais les procédés soniques utilisés sont un peu de la redite à l'intérieur même du disque. En cause, une relative monotonie d'une part rythmique (des tempos moyens-lents, et une guitare binaire qui marque inlassablement chaque temps), et d'autre part vocale (tout est à peu près chanté dans la même tonalité, et la voix est toujours mixée très en avant). Ressort pourtant l'impeccable "Death Letter" (ce n'est pas le blues ancestral de Son House, repris par Leadbelly), avec son arrangement formidable, larsen de guitare, cordes, orgue, voix saturée... "The Widow's Song", "The Ark" et "Atlantis" (ce n'est pas celle de Donovan) restent de bonnes chansons, mais, voilà, la surprise sonore a déjà été dévoilée dans les chansons précédentes, c'est un peu dommage. L'album se termine par "The Funeral Of Mr Love" (grand titre !), chanson à l'ambitieuse construction, qui, amèrement, assène "love fades and dies".

A vrai dire, j'ai conscience de la dureté du paragraphe précédent, mais c'est la rançon du talent et de l'ambition : il est hors de question de comparer un disque enregistré avec une telle intensité, une telle homogénéité, et un tel savoir-faire, aussi, avec les cassettes de démonstrations du petit cousin qui reprend Nirvana sur sa guitare Yamaha. Non, non, je juge ce disque tout simplement comme un disque pour lequel j'aurais payé, un vrai disque, quoi. Et même à l'aune d'une telle exigence critique, ça reste foutrement bon.


Le MySpace de Viol : http://www.myspace.com/ernestoviolin (sur lequel on retrouve l'extraordinaire "Chinatown Bells", rien que pour le morceau allez écouter).