Voir les deux Grindhouse à la suite s'avère extrêmement curieux. Si l'idée de départ - rendre hommage aux séries B visionnées en drive-in dans les années 70 - reste plutôt sympathique, il y a une telle différence dans le traitement entre les deux films que l'on ne peut être que perplexe après visionnage.
Le film de Roberto Rodriguez, Planet Terror, reste très respectueux des contraintes de départs : parasites sur la pellicule, image qui saute, et même une bobine manquante. Las, il s'agit d'une vraie purge. Incapable de s'intéresser à son sujet (les zombies sont inexistants) ni à ses personnages (d'une rare vacuité), Rodriguez ne rattrape pas une seule seconde son matériau de départ (qu'on pourrait croire volontairement creux, laissons le bénéfice du doute) avec sa caméra : plate, inanimée, voire carrément laide, l'image du film fait très peur. Rodriguez ayant déjà été capable de moments de vrai amusement (dans Une Nuit en Enfer ou The Faculty), on attend en permanence LA séquence qui va nous réveiller, en vain. Planet Terror est mou, vide, jamais jouissif, écrit avec les pieds, à oublier.
Tarantino, lui, commence le film en respectant les règles du jeu, mais le finit en s'en moquant royalement. On sait que Tarantino est naturellement plus doué que Rodriguez, malgré toutes les réserves que l'on peut avoir à son encontre. Avec son Death Proof, il gagne facilement la confrontation avec son camarade. Est-ce un chef d'oeuvre pour autant ? Non. Dans une structure assez amusante, en deux parties quasiment égales, il expose donc les traques d'un tueur en série armé d'une voiture noire menaçante (comme dans The Car d'Elliott Silverstein, 1977, une des multiples références cinéphiles du film). Le tueur est campé par le badass ultime, Snake Plissken en personne, messire Kurt Russell, complètement à contre-emploi et visiblement ravi de l'être.
Pourquoi le film est-il à moitié raté alors ? Tout simplement parce que Tarantino s'englue dans ce qui est censé être sa marque de fabrique, à savoir des dialogues badins supposés vifs, brillants, décalés. Et ici c'est complètement raté : deux fois dans le film, on assiste aux échanges verbaux de bandes de filles délurées sans qu'on en ait rien à faire. Comment dire ? C'est juste ennuyeux. Par ailleurs, pour ceux qui auraient aimé les déluges de citations que furent les deux Kill Bill, ils seront ravis ici : ça n'arrête pas, souvent explicitement (Point Limite Zéro...). Pour ceux qui s'en moquent, c'est assez lourdingue.
Reste une incroyable séquence finale de poursuite en voiture, filmée "à l'ancienne", de façon complètement justifiée au vu du résultat : haletante, viscérale, sèche, c'est une réussite totale. Ce qui prouve (on s'en doutait déjà) que Tarantino, s'il se regardait un peu moins le nombril et la vidéothèque, serait un cinéaste génial et incontestable. En l'état des choses, il reste un petit malin surdoué qui déjà atteint ses propres limites thématiques.
lundi 13 juillet 2009
dimanche 5 juillet 2009
Whatever Works de Woody Allen
Encore un Woody Allen, donc... Ca doit être le deux-centième. Au moins. Il faut avouer qu'il y a quelques années, on le croyait un peu fini. Enfin, on a toujours tendance à le croire fini. Puis il y a toujours ces films qui nous font changer d'avis encore et encore : ce fut Accords et Désaccords, ce fut bien évidemment le foudroyant Match Point, et alors qu'on le croyait condamné à filmer Scarlett Johansson jusqu'à la fin de sa vie, voilà qu'il sort ce Whatever Works.
Avec un casting plus qu'hétéroclite : Larry David, créateur de Seinfeld dans le rôle principal, Evan Rachel Wood (l'ex de Marylin Manson... Imaginons deux minutes une rencontre Woody Allen - Marylin Manson) merveilleuse dans celui d'une cruche inconcevable, la très classiquement hollywoodienne Patricia Clarkson qui offre une performance très amusante, Michael McKean (David St Hubbins dans Spinal Tap) dans un petit rôle...
L'histoire ? Allen a toujours parlé plus ou moins de lui, il continue donc. On suit les élucubrations de Boris, physicien sexagénaire "presque nominé pour le Nobel", misanthrope fini, hyponcondriaque total, paranoïaque et professoral, confronté à une ingénue de vingt ans à peine débarquée du Mississipi, naïve au plus haut point et vite fascinée par l'arrogance du vieil aigri. S'ensuivent alors des confrontations abracadabrantes entre notre antihéros et la famille de la jeune fille, horde de Républicains bigots et frustrés, plongés dans le microcosme intellectuel new-yorkais.
Il s'agit donc d'une comédie intégrale, particulièrement libidineuse (enfin, pour Woody Allen, quoi...), loufoque, burlesque, assez vache aussi et particulièrement mauvais esprit. Les répliques du reclus fusent, trouvant un contrepoint idéal en la présence de la jeune nymphette. Et ça fonctionne extrêmement bien, grâce à une maîtrise des effets comiques tout à fait réjouissante. Une mise en abyme (qu'il convient de ne pas dévoiler) tout à fait ludique se charge de comprendre qu'Allen s'adresse directement à son public, qu'il ne cherche plus du tout à convaincre un public qui se fout de lui (les Républicains, quoi), s'adressant même directement à ses chers spectateurs français au travers d'un gag.
Allen est arrivé à un tel point de savoir-faire qu'on ne peut absolument pas lui tenir rigueur de sa très légère autocomplaisance (hahaha), lui qui avait su renouveler entièrement son cinéma avec son Match Point entre Hitchcock et Agatha Christie. Un Woody Allen routinier que ce Whatever Works, donc, mais un Woody en très grande forme.
mercredi 1 juillet 2009
Viol - Love Boat
Il est déjà assez difficile de juger le travail d'un ami, alors quand on est soi-même un collaborateur dudit ami... Néanmoins l'auteur de ces lignes n'a strictement joué aucun rôle ici, et son impartialité ne saurait être mise en doute (et celui qui n'est pas content n'a qu'à retourner écouter Lady Gaga, que je refuse de connaître malgré toutes ses sollicitations répétées).
Viol, donc, aka Ernesto Violin, aka le Chat Chinois (aka la moitié du groupe le plus maudit de tous les temps, dont l'absence de notoriété n'a d'égale que la fulgurance du talent, autant ne pas se faire suer). Qui est ce type ? Un petit gars maigrichon, ayant pour modèle vestimentaire la tournée 1976 de Neil Young & Crazy Horse et pour idéal capillaire le concert pour le Bengladesh de George Harrison.
Comment expliquer les passions sonores du jeune homme ? Il est du genre obsessionnel, et s'est forgé petit à petit une identité musicale assez peu commune, dans laquelle on retrouve pêle-mêle le troisième album de Big Star, les guitares twang, Rubber Soul des Beatles, les arrangements mélodramatiques du doo-wop, le piano crépusculaire des derniers albums de Johnny Cash, la voix traînante de Shane Mc Gowan... J'en oublie sans doute.
Un drôle de bougre, donc, affublé d'un pseudonyme pour le moins gênant (Massacra, Suicide, Testament et Cannibal Corpse étaient déjà pris), qui enregistre tout absolument seul, sur un matériel que l'adjectif "lo-fi" ne suffirait pas à décrire. Et pourtant, même en travaillant sur un ordinateur rudimentaire, le garçon essaie sans cesse de trouver le son. Oui, la quête du son, la même que Brian Wilson, Christophe, Phil Spector, etc.
Et là, paf, un album concept. Grands dieux. Viol aurait donc été démodé en 1974, mais c'est sans doute ici l'intérêt de la chose. Car un disque comme ça aurait pu être enregistré à peu près n'importe quand dans les trente dernières années, pas moins. Hors du temps, hors des modes, peut-on parler d'une vision ? Hmmm.
Le disque, donc, commence par un titre assez étonnant, le dénommé "Treasure Island". Et là on peut se poser la question : qui est assez cinglé pour rendre un hommage à peine caché à Roy Orbison (réécouter "Running Scared") en 2009 ? Avec mandoline, cordes, et tout le toutim. On passe ensuite à un titre qui trahit les influences celtiques du jeune homme, malgré une production tout ce qu'il y a de wall of sound (enfin, en lo-fi, hein) : la guitare rappelle furieusement Fairport Convention ou Pentangle, mais, donc, dans un habillage tout à fait inattendu.
Arrive ensuite une chanson épatante, avec "The Sperm White Whale". On tient ici une sorte de rejeton bâtard de "My Sweet Lord" et des Only Ones, avec un refrain totalement accrocheur. S'il devait y avoir un single (hahaha), ce serait sans aucun doute cette chanson, qui prouve le talent de l'auteur quand il le veut pour écrire des chansons pop parfaitement catchy. A peine sustenté par une folk song classique ("Ignorance Makes You Pretty"), on tombe sur le très gros morceau du disque.
Car "August The 7th", en fait, n'est pas une chanson comme on en entend tous les jours. La mandoline d'intro rappelle étrangement "Holidays" de Polnareff, avant que la chanson n'embraye sur une construction dylanienne en diable (la guitare renvoie furieusement à "Desolation Row"), puis sur un refrain grandiloquent façon Spiritualized aux violons lacrymaux, le tout rythmé par un leitmotiv très obsédant digne de François De Roubaix. Des noms prestigieux, oui, mais le galopin est de ce niveau quand il s'y met. Qui aujourd'hui écrit des machins comme ça ?
Après arrive le très tonique et chantant "Seasons Of The Sun", aux arrangements entre Townes Van Zandt et Chris Isaak, portant une mélodie particulièrement vicieuse, inoffensive au premier abord, pour mieux rester cachée dans un petit coin du cerveau. Encore une grande chanson, quoi.
Autant le dire franchement (et par là-même durement), la deuxième moitié de l'album déçoit un peu (la deuxième face ?). Non pas que les chansons soient mauvaises, bien au contraire, mais les procédés soniques utilisés sont un peu de la redite à l'intérieur même du disque. En cause, une relative monotonie d'une part rythmique (des tempos moyens-lents, et une guitare binaire qui marque inlassablement chaque temps), et d'autre part vocale (tout est à peu près chanté dans la même tonalité, et la voix est toujours mixée très en avant). Ressort pourtant l'impeccable "Death Letter" (ce n'est pas le blues ancestral de Son House, repris par Leadbelly), avec son arrangement formidable, larsen de guitare, cordes, orgue, voix saturée... "The Widow's Song", "The Ark" et "Atlantis" (ce n'est pas celle de Donovan) restent de bonnes chansons, mais, voilà, la surprise sonore a déjà été dévoilée dans les chansons précédentes, c'est un peu dommage. L'album se termine par "The Funeral Of Mr Love" (grand titre !), chanson à l'ambitieuse construction, qui, amèrement, assène "love fades and dies".
A vrai dire, j'ai conscience de la dureté du paragraphe précédent, mais c'est la rançon du talent et de l'ambition : il est hors de question de comparer un disque enregistré avec une telle intensité, une telle homogénéité, et un tel savoir-faire, aussi, avec les cassettes de démonstrations du petit cousin qui reprend Nirvana sur sa guitare Yamaha. Non, non, je juge ce disque tout simplement comme un disque pour lequel j'aurais payé, un vrai disque, quoi. Et même à l'aune d'une telle exigence critique, ça reste foutrement bon.
Le MySpace de Viol : http://www.myspace.com/ernestoviolin (sur lequel on retrouve l'extraordinaire "Chinatown Bells", rien que pour le morceau allez écouter).
Viol, donc, aka Ernesto Violin, aka le Chat Chinois (aka la moitié du groupe le plus maudit de tous les temps, dont l'absence de notoriété n'a d'égale que la fulgurance du talent, autant ne pas se faire suer). Qui est ce type ? Un petit gars maigrichon, ayant pour modèle vestimentaire la tournée 1976 de Neil Young & Crazy Horse et pour idéal capillaire le concert pour le Bengladesh de George Harrison.
Comment expliquer les passions sonores du jeune homme ? Il est du genre obsessionnel, et s'est forgé petit à petit une identité musicale assez peu commune, dans laquelle on retrouve pêle-mêle le troisième album de Big Star, les guitares twang, Rubber Soul des Beatles, les arrangements mélodramatiques du doo-wop, le piano crépusculaire des derniers albums de Johnny Cash, la voix traînante de Shane Mc Gowan... J'en oublie sans doute.
Un drôle de bougre, donc, affublé d'un pseudonyme pour le moins gênant (Massacra, Suicide, Testament et Cannibal Corpse étaient déjà pris), qui enregistre tout absolument seul, sur un matériel que l'adjectif "lo-fi" ne suffirait pas à décrire. Et pourtant, même en travaillant sur un ordinateur rudimentaire, le garçon essaie sans cesse de trouver le son. Oui, la quête du son, la même que Brian Wilson, Christophe, Phil Spector, etc.
Et là, paf, un album concept. Grands dieux. Viol aurait donc été démodé en 1974, mais c'est sans doute ici l'intérêt de la chose. Car un disque comme ça aurait pu être enregistré à peu près n'importe quand dans les trente dernières années, pas moins. Hors du temps, hors des modes, peut-on parler d'une vision ? Hmmm.
Le disque, donc, commence par un titre assez étonnant, le dénommé "Treasure Island". Et là on peut se poser la question : qui est assez cinglé pour rendre un hommage à peine caché à Roy Orbison (réécouter "Running Scared") en 2009 ? Avec mandoline, cordes, et tout le toutim. On passe ensuite à un titre qui trahit les influences celtiques du jeune homme, malgré une production tout ce qu'il y a de wall of sound (enfin, en lo-fi, hein) : la guitare rappelle furieusement Fairport Convention ou Pentangle, mais, donc, dans un habillage tout à fait inattendu.
Arrive ensuite une chanson épatante, avec "The Sperm White Whale". On tient ici une sorte de rejeton bâtard de "My Sweet Lord" et des Only Ones, avec un refrain totalement accrocheur. S'il devait y avoir un single (hahaha), ce serait sans aucun doute cette chanson, qui prouve le talent de l'auteur quand il le veut pour écrire des chansons pop parfaitement catchy. A peine sustenté par une folk song classique ("Ignorance Makes You Pretty"), on tombe sur le très gros morceau du disque.
Car "August The 7th", en fait, n'est pas une chanson comme on en entend tous les jours. La mandoline d'intro rappelle étrangement "Holidays" de Polnareff, avant que la chanson n'embraye sur une construction dylanienne en diable (la guitare renvoie furieusement à "Desolation Row"), puis sur un refrain grandiloquent façon Spiritualized aux violons lacrymaux, le tout rythmé par un leitmotiv très obsédant digne de François De Roubaix. Des noms prestigieux, oui, mais le galopin est de ce niveau quand il s'y met. Qui aujourd'hui écrit des machins comme ça ?
Après arrive le très tonique et chantant "Seasons Of The Sun", aux arrangements entre Townes Van Zandt et Chris Isaak, portant une mélodie particulièrement vicieuse, inoffensive au premier abord, pour mieux rester cachée dans un petit coin du cerveau. Encore une grande chanson, quoi.
Autant le dire franchement (et par là-même durement), la deuxième moitié de l'album déçoit un peu (la deuxième face ?). Non pas que les chansons soient mauvaises, bien au contraire, mais les procédés soniques utilisés sont un peu de la redite à l'intérieur même du disque. En cause, une relative monotonie d'une part rythmique (des tempos moyens-lents, et une guitare binaire qui marque inlassablement chaque temps), et d'autre part vocale (tout est à peu près chanté dans la même tonalité, et la voix est toujours mixée très en avant). Ressort pourtant l'impeccable "Death Letter" (ce n'est pas le blues ancestral de Son House, repris par Leadbelly), avec son arrangement formidable, larsen de guitare, cordes, orgue, voix saturée... "The Widow's Song", "The Ark" et "Atlantis" (ce n'est pas celle de Donovan) restent de bonnes chansons, mais, voilà, la surprise sonore a déjà été dévoilée dans les chansons précédentes, c'est un peu dommage. L'album se termine par "The Funeral Of Mr Love" (grand titre !), chanson à l'ambitieuse construction, qui, amèrement, assène "love fades and dies".
A vrai dire, j'ai conscience de la dureté du paragraphe précédent, mais c'est la rançon du talent et de l'ambition : il est hors de question de comparer un disque enregistré avec une telle intensité, une telle homogénéité, et un tel savoir-faire, aussi, avec les cassettes de démonstrations du petit cousin qui reprend Nirvana sur sa guitare Yamaha. Non, non, je juge ce disque tout simplement comme un disque pour lequel j'aurais payé, un vrai disque, quoi. Et même à l'aune d'une telle exigence critique, ça reste foutrement bon.
Le MySpace de Viol : http://www.myspace.com/ernestoviolin (sur lequel on retrouve l'extraordinaire "Chinatown Bells", rien que pour le morceau allez écouter).
dimanche 14 juin 2009
Pixes - Bossanova
Tous les étés, quand la température monte brusquement, que les doigts collent à cause de la sueur, que la nuit refuse de tomber alors que le soleil nous fatigue, tous les étés je ressors l'album Bossanova.
Les Pixies sont sans doute le groupe le moins glamour qui ait jamais été. Entre le leader petit et boudiné, la camionneuse en guise de bassiste, le guitariste sans charisme et le batteur bellâtre manqué qui se reconvertira en prestidigitateur de bars, le tout saupoudré d'improbables chemises de bûcheron, baskets usagées, jeans délavés jusqu'à la corde, on est assez loin des New York Dolls.
Groupe de nerds par excellence, les Pixies étaient sans doute dans les recalés du cours de sport. On peut les fantasmer aisément, l'un lisant des livres d'astronomie, l'autre buvant des bières sur un parking, dans un Boston qui n'a jamais vraiment été une ville rock'n'roll. Mais voilà : Charles Michael Kittridge Thompson IV, alias Black Francis, alias Frank Black, est un cerveau imaginatif, débordant de vitalité. Gavé de films surréalistes, de littérature de science-fiction et de disques de rock'n'roll classique (Beatles, Bowie, Iggy, Lou Reed, ce genre), il développe petit à petit un vrai univers foutraque.
Le premier album Surfer Rosa (et le mini-album qui le précéda, Come On Pilgrim) détourne d'entrée les lois du rock indépendant d'alors, noisy et saturé, en le remplissant de hurlements divers, de paroles en espagnol et de références inattendues (Eraserhead de Lynch). Punk rock dadaïste, hardcore avec des guitares acoustiques, le groupe dépasse d'entrée son statut de rock américain : signé chez les Anglais artys de 4AD, les Pixies sont irrésistiblement attirés vers l'Europe.
Doolittle, le deuxième album, aurait dû être celui du triomphe : un tube intergalactique qui n'en sera jamais un, l'invention d'une formule couplet calme / explosion au refrain qui fera la gloire de leur premier fan, Kurt Cobain, un esprit délirant complètement hétéroclite, des paroles surréalistes entre Breton et Tim Burton, et des chansons qui finalement resteront pour l'éternité des monuments du rock des années 90 ("Debaser", "Wave Of Mutilation", "Hey", ou le terrifiant "Gouge Away"). Mais l'album était au final mollasson, plombé par des chansons un peu répétitives, un peu systématiques, vite oubliées.
C'est dans une position étrange que le groupe attaque Bossanova, le troisième album. Kim Deal, perpétuellement ivre ou défoncée, est écartée par Black Francis, devenu un véritable tyran (les deux autres membres n'ayant jamais eu véritablement accès aux compositions dans le groupe). Il signe toutes les chansons tout seul, et développe les textes autour de ses obsessions : les extraterrestres, les filles étranges, les voyages en voiture dans le désert... Une esthétique que n'oubliera pas Chris Carter au moment de créer X-Files et surtout Millenium, dont le héros s'appelle... Frank Black.
Forcément, le disque est extrêmement homogène, surtout sur le plan sonore. Paradoxalement, ce qui frappe, ce sont les guitares de Joey Santiago : utilisation de gammes exotiques (voire chromatiques), sur des rythmes sophistiquées, elles remplissent complètement l'espace. Rarement un groupe aura aussi bien exploité l'espace sonore. Il se passe constamment quelque chose à l'arrière plan. Finalement peu saturé (en comparaison de la vague shoegazer en Angleterre ou du hardcore émergeant aux Etats-Unis), le son du groupe est en permanence riche et en même temps aéré, l'équilibre des sons (assurés comme toujours par le producteur et mixeur Gil Norton) reste fascinant.
Et l'écriture, alors ? C'est exceptionnel. Passée l'étonnante introduction surf reprise des Surftones, Cecilia Ann, Black Francis est déchaîné sur chaque titre. Propulsé par ces arrangements exceptionnels, il offre la quintescence de son style : "Velouria", "Is She Weird", "Down To The Well" et son riff extraordinaire, "Blown Away"... Le tout rehaussé par des intermèdes punk ("Rock Music"), surf ("Ana"), hymnesques ("Stormy Weather"), parfaitement intercalés dans la construction du disque (au contraire de Doolittle).
Les deux pièces majeures du disque s'appellent "All Over The World" et "The Happening". Dans le premier, Black Francis double lui-même sa voix, prenant la place de Kim Deal limitée à des borborygmes dans le fond (si c'est bien elle, aucune certitude là-dessus...). Morceau le plus long des Pixies, il offre une texture sonore rare dans la fin, avec des échos de voix fantômatiques, un solo inspiré de Santiago, et un refrain obsédant. Le deuxième morceau est sans doute celui des Pixies dans lequel on peut percevoir le plus l'intimité de Francis, sans cesse cantonné à un rôle, toujours au deuxième degré. Ici il évoque son obsession pour Roswell, et décrit ses longues virées nocturnes en voiture, décrivant l'émission de radio qu'il entend. Morceau d'une incroyable force visuelle, il offre un climax déchirant, des choeurs aphones et monocordes répétant en boucle une litanie minimaliste, alors que l'auteur ose un semi-monologue désespéré. Fantastique.
A l'évidence, Bossanova est un album peu évident. Par sa longueur, par l'écriture atypique de ses chansons, il est bien moins accessible que les autres albums du groupe. Pourquoi mettre celui-ci en valeur alors ? Parce qu'il s'agit, chose extrêmement rare, d'un album qui décrit un monde entier, qui englobe totalement l'auditeur. Un album-monde, oui, voilà, comme peuvent l'être Strange Days des Doors, Village Green Preservation Society des Kinks, Berlin de Lou Reed ou une poignée d'autres. Mais ceci est une autre histoire.
Les Pixies sont sans doute le groupe le moins glamour qui ait jamais été. Entre le leader petit et boudiné, la camionneuse en guise de bassiste, le guitariste sans charisme et le batteur bellâtre manqué qui se reconvertira en prestidigitateur de bars, le tout saupoudré d'improbables chemises de bûcheron, baskets usagées, jeans délavés jusqu'à la corde, on est assez loin des New York Dolls.
Groupe de nerds par excellence, les Pixies étaient sans doute dans les recalés du cours de sport. On peut les fantasmer aisément, l'un lisant des livres d'astronomie, l'autre buvant des bières sur un parking, dans un Boston qui n'a jamais vraiment été une ville rock'n'roll. Mais voilà : Charles Michael Kittridge Thompson IV, alias Black Francis, alias Frank Black, est un cerveau imaginatif, débordant de vitalité. Gavé de films surréalistes, de littérature de science-fiction et de disques de rock'n'roll classique (Beatles, Bowie, Iggy, Lou Reed, ce genre), il développe petit à petit un vrai univers foutraque.
Le premier album Surfer Rosa (et le mini-album qui le précéda, Come On Pilgrim) détourne d'entrée les lois du rock indépendant d'alors, noisy et saturé, en le remplissant de hurlements divers, de paroles en espagnol et de références inattendues (Eraserhead de Lynch). Punk rock dadaïste, hardcore avec des guitares acoustiques, le groupe dépasse d'entrée son statut de rock américain : signé chez les Anglais artys de 4AD, les Pixies sont irrésistiblement attirés vers l'Europe.
Doolittle, le deuxième album, aurait dû être celui du triomphe : un tube intergalactique qui n'en sera jamais un, l'invention d'une formule couplet calme / explosion au refrain qui fera la gloire de leur premier fan, Kurt Cobain, un esprit délirant complètement hétéroclite, des paroles surréalistes entre Breton et Tim Burton, et des chansons qui finalement resteront pour l'éternité des monuments du rock des années 90 ("Debaser", "Wave Of Mutilation", "Hey", ou le terrifiant "Gouge Away"). Mais l'album était au final mollasson, plombé par des chansons un peu répétitives, un peu systématiques, vite oubliées.
C'est dans une position étrange que le groupe attaque Bossanova, le troisième album. Kim Deal, perpétuellement ivre ou défoncée, est écartée par Black Francis, devenu un véritable tyran (les deux autres membres n'ayant jamais eu véritablement accès aux compositions dans le groupe). Il signe toutes les chansons tout seul, et développe les textes autour de ses obsessions : les extraterrestres, les filles étranges, les voyages en voiture dans le désert... Une esthétique que n'oubliera pas Chris Carter au moment de créer X-Files et surtout Millenium, dont le héros s'appelle... Frank Black.
Forcément, le disque est extrêmement homogène, surtout sur le plan sonore. Paradoxalement, ce qui frappe, ce sont les guitares de Joey Santiago : utilisation de gammes exotiques (voire chromatiques), sur des rythmes sophistiquées, elles remplissent complètement l'espace. Rarement un groupe aura aussi bien exploité l'espace sonore. Il se passe constamment quelque chose à l'arrière plan. Finalement peu saturé (en comparaison de la vague shoegazer en Angleterre ou du hardcore émergeant aux Etats-Unis), le son du groupe est en permanence riche et en même temps aéré, l'équilibre des sons (assurés comme toujours par le producteur et mixeur Gil Norton) reste fascinant.
Et l'écriture, alors ? C'est exceptionnel. Passée l'étonnante introduction surf reprise des Surftones, Cecilia Ann, Black Francis est déchaîné sur chaque titre. Propulsé par ces arrangements exceptionnels, il offre la quintescence de son style : "Velouria", "Is She Weird", "Down To The Well" et son riff extraordinaire, "Blown Away"... Le tout rehaussé par des intermèdes punk ("Rock Music"), surf ("Ana"), hymnesques ("Stormy Weather"), parfaitement intercalés dans la construction du disque (au contraire de Doolittle).
Les deux pièces majeures du disque s'appellent "All Over The World" et "The Happening". Dans le premier, Black Francis double lui-même sa voix, prenant la place de Kim Deal limitée à des borborygmes dans le fond (si c'est bien elle, aucune certitude là-dessus...). Morceau le plus long des Pixies, il offre une texture sonore rare dans la fin, avec des échos de voix fantômatiques, un solo inspiré de Santiago, et un refrain obsédant. Le deuxième morceau est sans doute celui des Pixies dans lequel on peut percevoir le plus l'intimité de Francis, sans cesse cantonné à un rôle, toujours au deuxième degré. Ici il évoque son obsession pour Roswell, et décrit ses longues virées nocturnes en voiture, décrivant l'émission de radio qu'il entend. Morceau d'une incroyable force visuelle, il offre un climax déchirant, des choeurs aphones et monocordes répétant en boucle une litanie minimaliste, alors que l'auteur ose un semi-monologue désespéré. Fantastique.
A l'évidence, Bossanova est un album peu évident. Par sa longueur, par l'écriture atypique de ses chansons, il est bien moins accessible que les autres albums du groupe. Pourquoi mettre celui-ci en valeur alors ? Parce qu'il s'agit, chose extrêmement rare, d'un album qui décrit un monde entier, qui englobe totalement l'auditeur. Un album-monde, oui, voilà, comme peuvent l'être Strange Days des Doors, Village Green Preservation Society des Kinks, Berlin de Lou Reed ou une poignée d'autres. Mais ceci est une autre histoire.
lundi 11 mai 2009
Nostalgies, prophéties et tapis roulants.
Avant d'ouvrir un journal, il convient de faire un état des lieux. Il sera fortement question de musique ici, autant donc s'interroger à ce propos.
Je suis un vieux crouton, un fossile, un survivant du dernier millénaire. J'ai connu trois guerres nucléaires, survécu à une invasion extraterrestre, assisté à des dizaines de coups d'état. A vrai dire, j'ai surtout connu le disque. Oui, le disque.
Comme beaucoup d'obsédés de musique, j'ai une tendance légèrement obsessionnelle à chercher le grand disque, la chanson parfaite, l'oeuvre qui va changer ma vie. Tristement, j'ai probablement déjà connu tout ça avec le premier album du Velvet Underground, découvert alors que j'étais adolescent. Mais une quête ne se termine pas aussi vite. Des grands disques, j'en ai découvert, très tôt, très tard, et j'en trouverai sans doute encore.
Alors que je relisais des vieux magazines musicaux, en parcourant les chroniques de disques, je me demandai quels étaient les derniers disques importants. De vrais disques, quoi, qu'on chérit, qu'on écoute seul le soir dans sa chambre, qu'on prend pour rouler en voiture et chanter à tue-tête, qu'ensuite on délaisse en croyant les connaître par coeur avant de les redécouvrir tous les six mois avec bonheur, des Odessey And Oracle des Zombies, des The Idiot d'Iggy Pop, des Hunky Dory de Bowie, des Highway 61 Revisited de Zimmermann, des... Il y en aurait vraiment des tonnes.
Avec effarement, je suis remonté jusqu'à 2001, avec Is This It ? des Strokes. Est-ce un disque majeur, important, influent, je n'en sais fichtre rien, mais c'est un disque de chevet. Allez, je monte jusqu'au premier Libertines. Mais après ?
Serais-je passé à côté d'un truc fondamental, avec une maladresse et un aveuglement à hurler ? J'ai bien fait tout comme on m'a dit, j'ai écouté des machins improbables, des Arcade Fire, des MGMT, jusqu'à des Joanna Newsom, des Amy Winehouse, des noms et des noms à la suite. Pour finir par remettre "Season Of The Witch" de Donovan, parce qu'en 68 ce garçon avait fait quand même quelque chose de passionnant encore aujourd'hui. Suis-je donc atteint par le syndrome confinant au cliché dit "du vieux con" ? Aurais-je basculé du côté de la vieillesse infamante, du délire cacochyme, de la frustration réactionnaire ?
A vrai dire, je ne crois pas. Je n'ai pas vraiment changé, je crois. Je suis toujours le même qui découvrait le Wu-Tang après des mois à écouter Johnny Cash et décrétait : "c'est absolument génial". Ces dernières années, j'ai été capable d'assimiler grosso modo le garage-rock, la country outlaw, le folk ancestral, le blues du Delta, des choses que je n'avais finalement que survolées. Je n'ai donc pas l'esprit totalement fermé, c'est une certitude.
D'où vient le souci alors ? C'est que, cher ami, l'idée même d'album est totalement dépassée. On peut chercher longtemps, fouiller, écouter tout ce qui sort, aujourd'hui tout le monde s'en fout, de l'album, du LP comme on disait avant. On le sait, les 45 tours étaient longtemps les vrais vecteurs de la popularité des artistes, vendant bien mieux que ces longs disques qu'il fallait prendre le temps de déchiffrer, quand les artistes en question ne se contentaient pas de faire un album en plaçant le single en premier et en brodant autour de suite d'accords aléatoires sur toutes les autres chansons. Mais à ce point...
Prenons les chanteurs et groupe les plus populaires du moment, tout en restant respectables. Gnarls Barkley ? "Crazy". Amy Winehouse ? "Rehab". Les White Stripes ? "Seven Nation Army". Même Johnny Cash s'est vu rapidement résumé à "Hurt", voire à "Walk The Line" pour ceux qui ont vu le film. On voit apparaître des groupes par paquets de douze, des trucs indies probablement passionnants, mais que connait-on d'eux ? Le Spinto Band se résume à "Mandy" (le reste est insipide), Peter Bjorn And John à "Young Folks", MGMT à "Try To Pretend" (le reste est fatiguant), etc. Oh tiens, comme c'est bizarre, ces chansons ont tout une catchline, un riff obsédant, une (pas plus, hein) idée sonore gimmick, mais leurs albums... Je ne cite que les exemples qui me passent par la tête.
La suprématie du single est totale. Celle du clip aussi, images qu'on peut visionner à toute heure via Youtube ou Dailymotion. Le groupe OK Go ne doit sa renommée qu'au clip dit "des tapis roulants". Et puis le téléchargement, qui a le quasi-monopole de la distribution de musique actuellement, qu'en dire ? Le type qui a entendu parler de Donovan va-t-il aller au-delà de "Mellow Yellow" et "Sunshine Superman" ? Non, il n'a rien acheté, il ne va rien se forcer à écouter. Il pourra écouter "Hurdy Gurdy Man" grâce aux films Edison ou surtout Zodiac, mais ira-t-il écouter "Guinevere" ou "Happiness Runs" ? Saura-t-il que "Jennifer Juniper" s'adresse à la soeur de Patty Boyd, épouse successivement de George Harrison puis d'Eric Clapton ? Non, tout le monde s'en fout, de Donovan, et c'est bien triste.
C'est pourquoi ce blog, s'il parlera aussi parfois de simples chansons (et de bien d'autres choses que de musique), s'attachera essentiellement à traiter d'albums, de disques, de LP's et de toutes ces sortes de choses qu'un téléchargement rapide et mesquin ne saura jamais révéler.
Then when the Hurdy Gurdy Man came singing songs of love...
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